Les œuvres rassemblées dans cet ouvrage sous le titre Sortis de l’oubli appartiennent à une suite composée alors que l’atelier de Véronique Attia était en travaux et que son espace de travail se restreignait quasiment à une table dans une pièce encombrée.
Dans cet espace-temps restreint, ouvert comme une brèche dans son quotidien d’artiste, elle s’est autorisée à explorer une nouvelles piste et une nouvelle technique avec un résultat séduisant par la forme et riche de profondeur.
Imaginez-vous à l’entrée d’une grotte sombre où la lueur d’une bougie dévoilerait sur les parois des visions chimériques, comme autant de réminiscences d’outre-temps.
L’œil s’accoutumant, le regard se pose et l’on distingue alors ici un bestiaire figurant des animaux symboles la puissance ou de douceur (taureau, lion, agneau, âne ou oiseau) et dont beaucoup sont chargés de connotations bibliques ; là, des scènes où des silhouettes spectrales semblent se livrer à des rites païens ou chrétiens ; plus loin, des totems à figure humaine, comme crucifiés sur le fond noir, certains au visage exprimant une candeur enfantine, un autre le visage tourné vers le ciel dans une forme de supplication muette ; plus loin encore, des créatures anthropomorphes, mi-homme, mi-animal, comme convoquées par invocation chamanique…
Les évocations sont multiples et les références entrecroisées, comme autant d’échos d’une culture qui a sédimenté au fil du temps, mythes et croyances religieuses, contes et récits des origines… Y sont évoqués la complicité ancestrale entre l’homme et l’animal, le miracle de la vie, la complicité entre l’homme et l’animal, la souffrance, l’amour, la mort…
Les strates temporelles s’entrechoquent dans un tourbillon créatif sublimé par la technique utilisée. Les œuvres sont réalisées par superpositions et assemblages de textiles : toiles anciennes, tulle, vieilles dentelles, chutes de passementerie retravaillés à l’aide de pigments, encre à la gomme laque, brou de noix… dans une tonalité sourde qui joue avec le blanc, le noir et toute la gamme des ocres, jaune, rouge et brun.
Cette technique confère une texture et une lumière singulière à chacune des œuvres, qui apparaissent comme autant de reliques exhumées du grenier d’une vielle maison.
Certains détails sont tracés au trait : les détails du visage ou le cordon ombilical – le lien, lien vital qui lie la mère à l’enfant, l’homme à la femme, l’animal à l’homme, et qui au-delà relie la communauté des hommes.
Çà et là, une trouée de bleu offre une échappée vers un ciel clair – désir d’élévation, espoir de rédemption ? Car ce récit, derrière son apparente séduction, nous raconte comme par le biais de sauts associatifs, l’histoire d’un homme hanté par la culpabilité originelle, la nostalgie du paradis perdu, l’innocence bafouée, l’angoisse ontologique matérialisée par le cri silencieux de La momie qui fait la couverture de cet ouvrage – le cri primal qui transperce le silence des origines.
Mais il nous conte aussi l’amour d’une mère pour son enfant, le mystère des attirances, la fidélité indéfectible de l’animal en dépit de la cruauté subie, la force du sacré.
Comme si au-delà de la conscience individuelle de l’artiste c’était toute une mémoire collective qui s’exprimait ici par bribes surgies de l’inconscient et sur lesquelles plane l’ombre de l’exode et de la Shoah.
Avec Sortis de l’oubli, peut-être Véronique Attia a-t-elle réussi à transcender à sa manière le vécu juif et algérien-français de sa famille et au-delà, de tout un peuple sempiternellement pris dans les rets tragiques de l’Histoire.
Voici l’histoire d’une filiation et l’œuvre d’une rupture, et certainement la réalisation la plus personnelle et qui marque un tournant décisif dans la production créative de Véronique Attia.